Dans les années 50, l’exploration du gouffre Berger peut se comparer assez facilement aux expéditions himalayennes où la préparation et le portage sont essentiel, l’établissement de camps de base obligatoire mais ici sans les sherpas.
La préparation du matériel va leur prendre de longue semaine avant l’attaque qu’ils espèrent finale.
L’exploration est conçue sur un modèle avec des camps à établir, à ravitailler, à occuper selon un horaire aussi précis que possible, des équipes à composer suivant les possibilités physiques de chacun.
En dehors des puits, la difficulté majeure réside dans les chaines incessantes de matériels à acheminer dans les méandres, le va et vient des canots dans la rivière et le portage dans les éboulis instables.
C’est une cinquantaine de sacs qu’il va falloir descendre contenant canots, échelles, cordes, rations, fil de téléphone, carbure … c’est donc une expédition très lourde avec par moment jusqu’à une vingtaine de spéléos sous terre.
La descente va se faire par petits groupes avec au préalable du 17 au 21 juillet 1955, l’équipement du gouffre et du camp 1 à -500.
Le 23 juillet une dizaine de spéléo descendent (G.Garby, A.Sillanoli, F.Petzl, J.Cadoux, R.Juge, M.Soulas, L.Potié, P.Bruel, P.Laffont, J.Lavigne ) et bivouaquent à -500.
Certains partent à la galerie de la Boue et dépassent le terminus Chevalier.
Le portage d’un tas de matériel continu le lendemain jusqu’au Vestiaire (à -650 m). Ils y installent une tente et un autre poste téléphonique.
Le 25, l’installation du camp 2 est effectué en bas du Grand Canyon (-860 m), puis ils équipent le puits Gachet avec le mât.
Le 27 juillet, une équipe part et gagne 10 m dans le puits du Singe. Elle est relayée par une deuxième équipe qui finit de l’équiper. Ils franchissent la grande cascade de 27 m.
F.Petzl équipe le haut et J. Cadoux descend le premier. Il s’arrête sur un gour profond … Il faut installer une échelle en diagonale pour franchir un ressaut, car la rivière bondi en s’écrasant 10 m plus bas en pulvérisant l’eau qui forme un écran brumeux.
Le bruit de ces chutes couvre les voix et rend le sifflet obligatoire pour correspondre par messages codés L’échelle est fixée sur la paroi mais insuffisamment pour échapper à la chute de la cascade et à la douche.
Le froid commence à les paralyser.
Le 28 puis le 29, R.Juge, M.Soulas et G.Garby découvrent la salle de Joly et ouvrent un passage dans les galets sur le coté de la rivière qui siphonne. Ils équipent le premier ressaut et rentrent.
En soirée une autre équipe se lance dans « la Vire Tu Oses ».
En bas de celle-ci ils retrouvent la rivière qui disparaît aussi tôt en une chute vertigineuse dans un gouffre. Une lucarne dans la paroi rocheuse permet d’accéder au bord de celle-ci. La cascade se pulvérise plus bas dans un fracas infernal. Le faisceau des lampes ne parvient pas à éclaire les parois.
Ce puits va s’appeler l’Ouragan.
Ils n’ont plus que 10 m d’échelle et doivent s’arrêter par manque de matériel. Ils ont la vue sur les -1000 m.
C’est la fin pour cette année.
Il ne reste « plus qu’à » remonter en passant par les camps successifs et en déséquipant. Ils sortiront du gouffre fatigués, épuisés le 1 août accueillis par les flashs de la presse et de la télévision.
Au cours de la remontée survient l’accident de M.Soulas qui a une cheville écrasée par un bloc vers -300 m.
Expérience un peu folle pendant cette expédition, fabriquer et utiliser des skis en bois pour explorer la galerie de la Boue, où il est rapide de s’enfoncer.
Le 28 juillet ils sont 3 à progresser de quelques centaines de mètres. L’expérience ski sous-terre (la 1er et seule connue du genre !) tournera court, la glaise collant et s’amoncelant aux skis.
Ils s’enfoncent dans une sorte de mélasse qui fait ventouse et ils seront abandonnés.
Le nouveau record du monde est porté à -985 mètres.
L’assaut final est prévu pour l’année prochaine.
L’expédition du 23 juillet au 1er août a duré 218 h (9 jours) dont 6 jours à -500.
Anecdote lors de l’expédition 1955 : Haroun Tazieff s’invite
A la sortie début 1955 du livre « Opération -1000 » et lors de la séance de dédicaces nous voyons entrer Haroun Tazieff (Vulcanologue). Il nous dit « je viens en voisin, je suis actuellement dans le Vercors où je fais un film sur les chamois». Il parle aimablement puis nous quitte après le pot de l’amitié. Quelques jours après nous recevons une lettre de lui libellée en ces termes : «grand merci de votre invitation à participer à votre prochaine expédition. Cependant je voudrais avoir la réservation des droits du film que je réaliserai et éventuellement sur un livre écrit par moi». Aucune réponse ne lui sera faite, toute l’équipe étant décontenancée par cette façon d’agir.
Photos : Collection Jean Lavigne, Jo Berger, Georges Marry